La longanimité du P. de Lubac

13/12/2022

On raconte que le P. de Lubac étonnait par sa longanimité, surtout lors de sa mise à l'écart de l'Université dans les années 1950 /1. C'est pour lui un véritable exil : il ne peut s'expliquer avec les autorités du Saint-Siège ou de la Compagnie de Jésus, il est suspecté d'éloignement par rapport à l'orthodoxie catholique et certains de ses écrits sont mis de côté voire interdits. Pourtant, quelques années plus tard, aux prodromes du Concile, le pape Jean XXIII le nomme expert.

Pendant ses longues années de mise au ban et d'isolement, ne lui fut-il pas terriblement difficile de se soumettre, d'obéir ? Assurément... Mais en homme d'Église, il « aime l'obéissance /2 » et sait que la juste attitude chrétienne affirme, à la suite de la philosophie grecque /3, qu'il vaut mieux - et préférer - subir l'injustice que la commettre, en refusant d'obéir. C'est justement l'art de la longanimité que la patience à supporter une injustice ou ce qu'on aurait le pouvoir de réprimer. Se soumettre aux autorités, même injustes, ne signifie pas accepter aveuglément son injustice, mais simplement ne pas vouloir la commettre. La justice, en effet, est de rendre à chacun ce qui lui est dû /4, si bien que désobéir aux autorités reviendrait à ne pas leur attribuer ce qu'on leur doit. Autrement dit, c'est une obéissance, même lorsque celle-ci ne peut prendre la forme que d'une acceptation de la sentence, dussions-nous marcher au-travers des pires avanies.

Qu'à la suite du P. de Lubac prenant exemple de la salutaire « longanimité [μακροθυμίαν] de notre Seigneur /5 » (2 P 3, 15), nous découvrions, « les yeux émerveillés », « les plus beaux miracles de la sainteté catholique, ces miracles qui fleurissent à l'ombre de l'obéissance et sur le terreau de l'humiliation /6 ».

                                                                                                                                                                                               Henri Guyon

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1 Voir le début de l'article « L'invention de l'histoire » de Gérard LECLERC, dans Henri de Lubac, le théologien à l'œuvre, dans Communio XVII, 5, septembre-octobre 1992. 2 Henri DE LUBAC, Méditation sur l'Église, Paris, Cerf, 2003, p. 222. 3 Voir par exemple DEMOCRITE, Fragment B XLV, trad. J.-L. Poirier, dans Les présocratiques, Paris, Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », 1988, p. 863 : « Celui qui commet l'injustice est plus malheureux que celui qui la subit » ; et PLATON dans Gorgias 469c, trad. M. Canto, Paris, GF-Flammarion, 1987, p. 174 : « S'il était nécessaire soit de commettre l'injustice, soit de la subir, je choisirais de la subir plutôt que de la commettre ». 4 Le Codex Iuris I, 1, 10 dit bien : « jus suum cuique tribuere ». 5 D'après la traduction de la Bible de Jérusalem. 6 Henri DE LUBAC, Méditation sur l'Église, op. laud., p. 230.

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